En s’intéressant à l’étude du cerveau de méditants tibétains expérimentés, des chercheurs en neurosciences se sont aperçus que la focalisation de l’attention sur la compassion activait certaines aires cérébrales liées aux émotions positives.

 

A la suite d’échanges avec le dalaï-lama, Richard Davidson, professeur de psychologie et de psychiatrie à l’université de Madison dans le Wisconsin, s’est intéressé au sentiment de compassion et à ses effets sur le cerveau. Au début des années 2000, avec son équipe, il étudie donc le cerveau d’ « experts en méditation » à l’aide d’électroencéphalogrammes et d’IRM. Les résultats sont surprenants. « L’expression de la compassion influence le regard que nous portons sur la vie. Elle va modifier les circuits neuronaux qui le conditionnent et permettre la transformation de l’état émotionnel de base. Les ondes gamma générées par la méditation sur la compassion sont associées à des émotions positives : optimisme, joie, confiance, etc… La méditation sur la compassion renforce notamment les connexions entre le cortex préfrontal et d’autres régions du cerveau impliquées dans l’empathie. C’est alors le regard sur les autres qui change : on est de plus en plus capable de discerner le bien en eux, de voir qu’ils cherchent à être heureux, et nous tendons naturellement à les aider à trouver ce bonheur ».

 

L’importance de la compassion envers soi

Pour Matthieu Ricard, moine bouddhiste qui s’est prêté à ces expériences, la compassion est « la forme que prend l’amour quand elle est confrontée à la souffrance de l’autre. Il s’agit du désir non pas seulement que l’autre soit heureux mais qu’il cesse de souffrir ». La compassion pour les autres ne doit pourtant pas nous faire perdre de vue que ce sentiment est également valable pour soi. Ainsi, Kristin Neff, enseignante en psychologie, nous invite à l’auto-compassion. « Selon la tradition bouddhiste, il est inutile d’espérer prendre soin un jour des autres si l’on ne commence pas par s’occuper de soi. Faire preuve de bienveillance à l’égard d’autrui tout en continuant à se juger et à se critiquer crée des différences et des séparations qui ne peuvent aboutir qu’à un sentiment d’isolement et de solitude », insiste-t-elle dans son livre S’aimer Comment se réconcilier avec soi-même. Elle a développé une méthode reposant sur trois attitudes fondamentales. Tout d’abord, l’importance de se considérer avec bienveillance. Pour l’auteur, il ne s’agit pas seulement d’arrêter de s’autocritiquer, mais d’apprendre à se réconforter en cas d’échec ou de souffrance. « En étant tendre avec soi-même, on modifie à la fois son organisme et son esprit. Au lieu d’éprouver de l’inquiétude et de l’anxiété, on se sent calme, satisfait, confiant et en sécurité. Parce qu’elle nous renforce face aux expériences pénibles, la bienveillance envers soi permet de ne plus réagir sous l’influence de la peur », explique Kristin Neff.

 

L’interdépendance et le sentiment d’appartenance à l’humanité

L’auto-compassion nous apprend à aller puiser au fond de nous-mêmes ce que nous avons tendance à aller rechercher à l’extérieur, notamment chez nos proches. « La souffrance devient une occasion d’expérimenter l’amour et la tendresse depuis sa source intérieure », observe Kristin Neff. Un enseignement qui nous amène à la véritable compassion. Regarder en soi ses imperfections, ses échecs et ses douleurs, permet de reconnaître son humanité et par la même occasion celle des autres. « Notre imperfection est le signe de notre appartenance à l’espèce humaine. Nous sommes donc toujours et automatiquement connectés les uns aux autres », estime l’auteur. Une vision partagée par Matthieu Ricard : « Tous les êtres sont interdépendants. Le fait de comprendre au fond de soi-même que nous sommes à la recherche du bonheur et que nous ne souhaitons pas souffrir permet plus facilement d’imaginer qu’il en est de même pour les autres.  L’interdépendance est en fait le fondement théorique de l’amour et de la compassion ».

 

La pleine conscience au service de la compassion

Pour Kristin Neff, « Avancer en pleine conscience signifie avoir une vision claire de ce qui se passe dans l’instant présent et l’accepter sans jugement. L’idée est d’appréhender les choses telles qu’elles sont, ni plus ni moins (…)  ». D’après elle, on comprend que les émotions et les pensées ne correspondent pas forcément à la réalité. L’état de pleine conscience permet de les regarder en leur accordant moins d’importance et de poids. Les émotions positives sont renforcées, comme le montrent les études menées sur le cerveau de moines bouddhistes. A ce sujet, Matthieu Ricard explique que nous ressentons parfois des moments d’amour inconditionnel, vis-à-vis d’êtres chers ou de personnes que l’on ne connaît pas. En général, ce type de pensées est furtif, nous passons très vite à autre chose, rattrapés par la vie quotidienne. L’idée est donc d’essayer de prolonger cet état progressivement : « méditer 10 minutes, puis 15, puis 1 heure… C’est par cet entraînement que l’on change ce que l’on est, notre tempérament, notre manière d’être. Par l’entraînement, vous devenez une personne différente. L’amour et la compassion deviennent non pas une seconde nature, mais votre nature première ». Dans son livre, Kristin Neff fait part d’une autre étude sur les bienfaits de la compassion : « des chercheurs ont mesuré le taux de cortisol et les variations du rythme cardiaque de personnes ayant suivi une formation à l’auto-compassion. Le cortisol est une hormone du stress, tandis que le rythme cardiaque indique le niveau de tolérance à ce stress. D’après leurs conclusions, plus les sujets se montrent compatissants avec eux-mêmes, plus leur taux de cortisol est bas et leur rythme cardiaque stable. » Ainsi, les personnes faisant preuve de compassion envers elles-mêmes seraient plus à même de gérer leurs émotions et d’affronter les problèmes rencontrés.

 

Comme le montrent ces différentes études, il est possible d’agir sur nos émotions, notre corps, et même de modifier certaines parties de notre cerveau !  Il est ainsi possible d’être plus en harmonie avec soi-même et avec les autres. Comme le suggérait Gandhi « Commencez par changer en vous ce que vous voulez changez autour de vous ».